Une journée avec Ramzi Maqdisi, le cinéaste qui aime tant les gosses… par Anne Morange

Il n’est pas d’ombre sur la terre de la grande humanité

Pas de lanternes dans ses rues

Pas de vitres à ses fenêtres

Mais elle a son espoir la grande humanité

On ne peut vivre sans espoir.

Nazim Hikmet, in Paris ma rose

(Traduction N. Hikmet et Ch. Dobzynski)

Une journée avec Ramzi Maqdisi,

le cinéaste qui aime tant les gosses…

Il est revenu, cette année, après avoir été projeté, tout récemment, à l’Institut du Monde Arabe, à Paris. En juin dernier, nous l’avions reçu, juste avant le premier Festival du film palestinien, à Paris encore, où son court-métrage « Salomon’s Stone » allait être découvert en France…

Depuis, ce film a remporté un vif succès. Pour Ramzi Maqdisi, l’année aura, depuis juin 2015, été bien chargée entre contributions, tournages, festivals…

Le cinéaste et acteur palestinien est en pleine maturation, et en pleine reconnaissance internationale.

Ce fut un honneur de le retrouver, le vendredi 18 mars 2016, fidèle, face à mes élèves qui étudient sa création pour l’examen du bac de Français, avec leur conscience de citoyens, épris de justice et d’égalité et de liberté.

Maqdisi a du cœur, des souvenirs en veux-tu en voilà, des vagues à l’âme aussi, des rires aux éclats…

C’est un acteur en scène, devant nous, aussi : l’acteur ne disparaît pas dans le cinéaste qui s’explique, s’analyse, se raconte : « Je n’aime pas parler de moi, mais vous me faites parler de moi », dira-t-il doucement.

Qu’importe ! Car, en parlant de lui, de la Palestine, du monde, de nous, Maqdisi, le nomade qui passe les frontières, chante l’avenir et ses promesses ; et ce voyageur, poète épris des grands espaces et du plein air, chante comme Pierre Seghers, autrefois, dans son recueil Comme une main qui se referme :

Écoute, je ne chante pas pour mon village

Mais pour l’Europe et pour le monde

Il y faut des genoux solides.

La justice demandée est la justice pour toute l’humanité.

« Quel enfant avez-vous été ? », « Pourquoi choisissez-vous souvent des enfants, des petits garçons dans vos documentaires ? », demandent les élèves qui se succèdent sur la journée, au CDI de Monsieur Fonteyne…

« Mais, répond le cinéaste qui ne veut pas devenir père, c’est que dans Naked Dreams, nous sommes dans une école de garçons et que l’école n’est pas mixte… Mais dans Defying my Disability, je filme des petites filles, aussi. Dans Under the Sky, aussi. L’enfant, pour moi, c’est l’avenir, notre avenir ».

On croirait entendre Victor Hugo, au « Christmas » de Hauteville-House, ce Noël de 1869 : « Ce jeune esprit, l’enfant, est le champ de la moisson future. Il contient la société nouvelle. »

Chaque enfant est, d’ailleurs, au premier plan du cinéma de Maqdisi, au centre de sa préoccupation d’homme, épris de justice et d’avenir.

« Qu’est-ce que vous pensez du mur ? »

« Quelle aurait été, selon vous, la vie là-bas, s’il n’y avait pas eu le mur ? »

Les jeunes lecteurs de La Migration des murs de James Noël connaissent toutes ces histoires de murs qui s’élèvent un peu partout dans le monde…

Alors, le mur, comme objet d’inspiration cinématographique chez le Palestinien, les interpelle : « Pourquoi filmez-vous si souvent ce mur ? »

« Quel est le but de ce mur ? »

Ce qui ressort, et chaque élève l’a compris, dans ces documentaires du jeune artiste, c’est la thématique de l’enfermement. Celui des enfants, bien sûr : derrière les grilles de la cour d’école, derrière les fenêtres de la cuisine de l’école, derrière les murs de l’internat, dans Naked Dreams… L’enfermement qui devient, encore, l’expérience de l’impuissance, de la stérilité. L’enfant, dans ce documentaire que Maqdisi doit encore parachever, y est filmé souvent assis : sur un banc, sur une chaise, et l’immense salle d’école, pleine de chaises vides, rappelle que l’on s’ennuie à l’école. Il n’y a rien d’autre que la pauvreté et la misère, qui coupent les ailes.

Alors, les grands y maltraitent les petits.

Maqdisi sait de quoi il parle, quand il filme l’enfermement, lui qui fit de la prison, pendant des mois, à 17 ans, pour avoir créé une radio clandestine palestinienne.

Defying my disability, autre documentaire diffusé par une chaîne de télévision, donne la primauté, entre autres, à ces petits handicapés qui parcourent le sol jusqu’aux marches d’escalier qu’ils descendent, une à une, à la force de leurs seuls bras, pour rejoindre leur école…

L’école…

Oui, l’école est importante pour notre invité ; on l’écoute revenir sur ses années de formation et expliquer aux jeunes combien il faut prendre les études au sérieux, se battre pour étudier, se dépasser.

Leçon de cinéma, leçon de courage.

Maqdisi avouera n’avoir eu, enfant à l’école, personne pour le regarder, l’aider, l’encourager… Le petit garçon palestinien qu’il a croisé, se traînant ainsi avec son sac d’école sur le sol et dans les escaliers, aura eu droit à un film : le sien.

Dans ses courts-métrages Naked Dreams et Defying my disability, on l’entend demander aux enfants de continuer à parler, de continuer à raconter…

Il est celui qui ravive et réveille les petites âmes, jusqu’ici non entendues.

Il est celui qui met en lumière les petits corps monstrueux de souffrance que l’on cache.

Et de quoi parlent-ils, ces petits héros du dépassement, chez Maqdisi ?

Depuis les bancs, les chaises, les fauteuils roulants, les enfants, innocents et pourtant punis par une vie injuste, en Palestine, disent des rêves fous de liberté et d’avenir : face à la caméra, le gamin sans jouets raconte son rêve de bicyclette… La jeune fille à la balançoire se laisse aller à ses rêves de beauté…

Ramzi aime les voix des enfants, dans ses films comme dans ses rencontres, au lycée…

Et c’est toujours pour qu’on lui parle d’avenir qu’il vient au devant de ces enfants : de là-bas, de chez nous.

L’homme a la parole directe, le regard puissant d’authenticité ; il ne connaît pas l’hésitation, à l’exception de celle qui révèle son immense tendresse.

« Quel enfant étiez-vous ? », demande une élève.

« Je n’ai pas parlé jusqu’à l’âge de 6 ans. On m’a considéré, alors, comme un enfant handicapé et mis dans une école spécialisée. Je crois, aujourd’hui, que je ne parlais pas parce que, tout simplement, je n’avais rien à dire ». Voilà la réponse du cinéaste sorti du petit garçon mutique qui a dû apprendre à observer deux fois plus que les autres…

Cela vous fait un cinéaste.

C’est Monsieur Hammoudi, professeur d’anglais du lycée, qui fait la traduction, dans trois rencontres successives où les âmes se regardent et où les expériences de vie se répondent parfois.

Ramzi aura vu trois classes : la Première L, la Première STL et la Seconde HD…

L’expérience du documentaire, fondé sur les rêves et mots des petits garçons, pour cet acteur de cinéma et de théâtre, pourrait se voir comme une réponse compensatrice du silence : celui du garçonnet qu’il dit avoir été…

Mais, dans la famille Maqdisi, il y a eu un autre silence, définitif celui-là : celui de ce frère de cinq ans, un jour asphyxié dans une mosquée, sous les yeux de sa maman, mort des gaz lacrymogènes de l’armée israélienne…

Alors, dans les voix intarissables d’enfants captifs de l’école palestinienne sans avenir ni jouet, ou captifs du handicap sans espoir de guérison, Ramzy a trouvé de quoi construire une œuvre réparatrice : celle qui comble un silence intolérable, une voix perdue pour toujours, une enfance gâchée.

Son cinéma de gosses est plein d’oiseaux qui chantent et qui disent la vie, comme la poésie de Mahmoud Darwich :

Un jour je serai oiseau et, de mon néant,

Je puiserai mon existence.

Pour Maqdisi, l’artiste au frère disparu, le cinéma à gosses sera, toujours, une expérience de fraternité réparatrice et féconde qui affirme, avec le poète de Murale :

Un jour je serai ce que je veux.

Anne Morange

Mars 2016

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