(article de Christine Ferniot, sur le site Télérama, publié le 14/09/2019. Mis à jour le 19/09/2019 à 16h09.)
Son premier roman, “La Chaleur”, est un subtil mélange de comique et de pathétique, de dérisoire et d’essentiel. Victor Jestin y décrit les contradictions d’un jeune homme, entre enquête, étude de mœurs et regard social.
C’est le mot sincérité qui revient le plus souvent dans sa conversation. Victor Jestin, 25 ans, a commencé tout gamin à écrire, mais il encombrait ses phrases d’adjectifs redondants, de mots inutiles pour faire de l’effet. Il lui a fallu du temps, un manuscrit refusé et des conseils de professionnels pour se débarrasser de toutes ces scories. Résultat : La Chaleur, un premier roman publié en cette rentrée par Flammarion. « L’histoire d’un adolescent qui avance dans la vie comme un somnambule », précise-t-il justement.
Écrivant à la première personne, Victor Jestin évite cependant l’autobiographie, pour décrire les contradictions d’un jeune homme qui oscille entre désir et dégoût. Mais il y a surtout le décor de cette fiction, ce camping des Landes, que Victor Jestin connaît bien pour y avoir passé souvent des vacances en famille : « Une mini-ville avec ses rues et ses rituels. » Ce lieu de comédies télévisuelles et cinématographiques, des Bronzés à Camping Paradis, devient le cœur d’un drame, car tout secret est impossible à préserver en maillot de bain… Le jeune romancier a su mélanger subtilement le comique et le pathétique, le dérisoire et l’essentiel, comme il mêle les genres littéraires : enquête, étude de mœurs, regard social.
Robert Bresson, Louis Malle, Maurice Ronet
Victor Jestin vient de Nantes, vit à Paris, et a déjà derrière lui quelques années d’études pour devenir scénariste. Fièrement, il explique qu’il en vit aujourd’hui, travaillant sur plusieurs projets de longs métrages. Mais il précise aussitôt que l’écriture cinématographique n’exige pas la même démarche que l’écriture littéraire. À la sécheresse du scénario, il oppose le travail du romancier qui peaufine ses phrases, ses descriptions, ses analyses psychologiques. Ses préférences cinématographiques vont vers Robert Bresson. Puis le voilà qui cite Le Feu follet, de Louis Malle, et la présence obsédante de Maurice Ronet. Le héros de La Chaleur emprunte à celui du Feu follet l’errance du personnage, une façon de porter sa lassitude existentielle et de jouer avec la mort. Jestin, comme Pierre Drieu La Rochelle, fait aussi le choix d’une temporalité courte.
Si l’écriture de scénario et une bonne cinéphilie sont importantes dans sa démarche littéraire, c’est peut-être à travers son rapport à la musique que Victor Jestin se révèle le plus, confessant notamment une passion pour Mahler, qui « mélange les genres, à la fois élaboré et folklorique ».
Lecteur sur le tard, à 19 ans, bien après avoir commencé à imaginer des fictions, il cite curieusement Jules Renard et Jean Genet, duo de choc s’il en est. Victor Jestin a écrit dans les cafés, a fait lire son manuscrit à ses proches puis l’a envoyé par la poste. Aujourd’hui, il explique que le plus beau jour de sa vie fut lorsque, un matin, au Brésil, avec son amoureuse, le téléphone sonna pour lui annoncer que son texte était pris par une grande maison d’édition. Si jeune encore, il se montre déjà nostalgique de ce moment qu’il pense unique. C’est donc l’anxiété, comme la nécessité d’envisager un « après », qui l’ont poussé à commencer un second livre – une tragédie dit-il. Et il a déjà choisi le lieu : une île, une nuit.