Du documentaire aux enfants de Palestine…
Avec Ramzi Maqdisi, croire en l’avenir
« L’enfant,
n’est-ce pas un oiseau ? »
Victor Hugo, XVII, « Chose vue un jour
de printemps »,
Livre III, Les Contemplations
« L’Art nous rassemble… »
Tel est le mot d’ordre du cinéaste Ramzi Maqdisi…
L’artiste était notre invité, en ce lundi 16 décembre 2019.
Et cette rencontre prolongeait la découverte, pour mes élèves de Premières G1 et G3 du lycée Maxence Van der Meersch à Roubaix, de certains films de l’homme aux multiples talents : acteur, dramaturge, cinéaste…
L’artiste venait de jouer à Bruxelles la pièce de Bashar Murkus, The Museum, une pièce annoncée au Festival d’Avignon à l’été 2020. Au cinéma allait sortir le film Pour la cause, réalisé par Hassan Benjelloun ; Ramzi Maqdisi y interprète le rôle principal. Le 21 décembre, notre invité devait être à Casablanca, pour
l’avant première…
De la Belgique au Maroc, sur sa route : notre lycée… Et mes élèves.
« Les enfants sont l’avenir, le futur. Il faut s’occuper d’eux. »
Faceaux élèves, il gardera toute la matinée cette écoute forte ; et cela,Soukaina ne l’a pas oublié : « Cela le touche énormément qu’il y ait des enfants heureux et d’autres malheureux quelque part dans ce monde injuste. »
Ce monde injuste, il nous apparaît dans son court-métrage Naked Dreams : un film, magnifique, consacré à l’enfance en Palestine. On y voit, on y écoute deux petits garçons parler de leur école, de leur désœuvrement et de leurs rêves. Dans cet internat des plus pauvres, les enfants, séparés de leur famille, font l’expérience de la misère.
Maqdisi filme avec le souci de l’information.
« Les enfants regardent défiler les jours, les semaines, les mois… se souvient Fatoumata. Leur école est sans vie. ».
Axel, qui avait découvert cet internat palestinien avec émotion, revient sur ce film avec ces mots : « On peut lire le désespoir des enfants dans leur regard ; leur situation me désole ; chaque enfant a le droit d’avoir accès à l’éducation, au bonheur… Les petits garçons vivent dans un internat : la loi du plus fort y règne… »
Lors de la projection, nombreux avaient été les réactions, les étonnements, lesrévoltes. Pour ces lycéens, l’enfance misérable demeure une réalité insoutenable ; pour Clara, elle est un scandale : «Dans ce documentaire, deux jeunes garçons souhaitent être heureux ; ils veulent s’amuser, ne demandent que des vélos, des ordinateurs, des jouets et, même, un oreiller pour mieux dormir ! ».
Asma rejoignait sa camarade sur le terrain de la compassion : « Leurs chaussures sont usées, trouées… J’ai eu un profond chagrin. Ce sont des enfants avec des problèmes d’adultes. »
Si Maqdisi veut, avec ses films, témoigner sur la Palestine aujourd’hui, à la projection, nous constations que son travail avait touché tous les spectateurs.
Bouleversés.
Naked Dreams n’est pas qu’un simple film sur la condition des enfants dans les écoles palestiniennes ; c’est, aussi, un joyau de pureté, de grâce, de poésie ; et cette poésie vous la trouverez dans les voix, les regards, les gestes gracieux de ces deux garçonnets que Maqdisi a su mettre en lumière.
Leur souffle et leur enthousiasme animent, en des moments de rêves qui délivrent, des instants authentiques et poignants : voir l’avenir en grand, c’est, un instant, échapper à ce qui enferme, oppresse, prive, désœuvre.
« Comment faites-vous parler des enfants ? »
L’artiste nous explique ses choix, rappelant par là même son désir de « leur parler, non pas comme à des victimes, mais comme à des survivants, des combattants ».
Le cinéaste procède auprès des enfants et de leur famille avec douceur et honnêteté :
« Il veut juste les filmer. Il ne peut rien pour eux, il ne leur ment pas… Il veut juste montrer leur histoire », raconte Eline.
« Que sont devenus ces enfants du documentaire ? », lui demande-t-on.
Ramzi Maqdisi baisse alors les yeux et répond, doucement, qu’il l’ignore…
Aux élèves qui lui parlent beaucoup de son film, le cinéaste explique combien ils ont de la chance d’étudier à Van der Meersch dans de telles conditions de travail ; combien ils ont de la chance de participer à ce projet culturel…
Et de se souvenir de son école, de ses premières années de formation dans une école privée de chauffage…
Chez ce cinéaste, internationalement reconnu et primé, l’enfant tient donc une place centrale.
Dans Naked Dreams, on voit des enfants « mourir d’ennui, nous explique Asma, dès leur plus jeune âge, ils rêvent de leur métier. Ils disent leur ambition, quand ils n’ont rien, ne font rien, ne peuvent rien. Ils ont des rêves comme tous les humains ».
Chaque spectateur comprend les voix et les rêves qui bâtissent un texte sans précédent : celui de chaque enfant palestinien qui raconte son histoire au futur.
Et sa voix nous montre un autre chemin que le temps présent ; cela chante dans les rêves d’enfant, en Palestine comme ailleurs, sur un air qui ignore les impossibles. Là est la poésie…
L’artiste a, face à lui, des élèves qui présenteront Les Contemplations de Victor Hugo au bac de français prochain ; ils connaissent, d’ailleurs, l’engagement du poète pour les enfants pauvres, dans son œuvre comme dans son expérience vécue.
A Veules, près de Saint-Valery-en-Caux, l’écrivain avait offert aux enfants les plus misérables – à peu près cent enfants – un banquet. Nous étions le 25 septembre 1884, et l’auteur des Misérables s’était adressé à son jeune auditoire en ces termes : « Vous êtes petits, vous êtes gais, vous riez, vous jouez, c’est l’âge heureux. »
Hugo aspirait à une société moins coupable à l’égard des enfants ; il parlait pour une société plus juste.
Le but de Maqdisi est, aussi, celui de la justice.
« Maqdisi sait faire parler les enfants ; ils apparaissent avec tous leurs rêves dans une société qui leur interdit le rêve ! » avait écrit Soukaina, après la projection de Naked Dreams et de Defying my Disability.
Cet autre film du documentariste est un film très fort, brutal, et poétique à la fois ; on y retrouve la force de l’enfance, avec sa flamme de l’espoir vif. Et le réalisme y rencontre la noblesse de certaines âmes rares… « Maqdisi montre notamment la lumière. La lumière et l’espoir de ces personnes qu’il a filmées : leur sourire nous montre leur bonheur : il y a aussi leur famille », nous rappelle une élève.
A Gaza, dans le cinéma de Maqdisi, on a le sourire large quand on parle famille, école et avenir, malgré tous les interdits et tous les impossibles ; Amira le souligne bien, avec ses propres mots :
« Ces petits héros ne perdent pas leur rêve, leur ambition ; et pourtant, ce ne sont que des enfants pauvres, des petits Palestiniens dans un pays en guerre. »
Le cinéaste s’engage dans ses œuvres, et son documentaire parle pour lui :
« Ramzi, dans ses documentaires, filme l’histoire de ces familles palestiniennes pour montrer au monde entier la misère », nous précise Antonio.
Maqdisi aime, néanmoins, l’avenir. Surtout, il aime l’idée d’un avenir qui triomphe du présent…
Et il filme, pour cela, le rêve chez l’enfant qui se raconte, triomphant dans Defying my Disability du corps, du handicap qui emprisonne.
« Dans ce documentaire, analyse Clément qui a vu le film, les enfants handicapés rêvent de marcher sur les pieds,nager dans la mer, voyager, aider les autres, même… Ils ont un très grand cœur. Les personnages sont dans le dépassement d’eux-mêmes ».
Et il y a quelque chose de spectaculaire dans ces prouesses d’enfants, d’adolescents qui ne capitulent pas devant les impossibles : « Il y a un jeune garçon, raconte
Axel, qui se déplace à la force des bras pour aller à l’école : c’est pour lui le seul moyen d’espérer, d’espérer un avenir meilleur. Il se traîne, tout en traînant son sac qui est, à ses yeux,
sacré. Cet enfant se bat pour sa vie. »
La vie c’est, en Palestine, plus qu’ailleurs, la liberté.
Et l’école fonde l’espoir d’un avenir possible.
Devant la caméra de Ramzi Maqdisi, des petits Gazaouis coincés dans les limitations de leur corps, livrent leurs aspirations. Ils ne parlent que d’échappée, d’élan, de libération.
Sans prothèse, sans fauteuil roulant, sans argent, ils se voient pourtant devenir : « Ils rêvent devant la mer, ils
rêvent de la liberté, du bonheur… » avait fait remarquer l’un de mes élèves, après avoir découvert les différentes histoires qui constituent Defying my Disability.
« Chacun des personnages y est fort car il possède des rêves », avait analysé Juliette, avant de poursuivre : « Une adolescente, victime de troubles du langage et de léger handicap moteur, depuis la naissance, nous dit qu’elle est enfermée dans sa maladie et dans la société. »
« Que dire de la Palestine, aujourd’hui ? », lui demandèrent alors les jeunes.
L’artiste
se dit perdu : « Il n’y a pas de terre, mais il y a les Palestiniens ».
Maqdisi croit-il en son cinéma pour faire changer le monde ? Le film peut-il être une arme ? Sa réponse fut sans ambiguïté : « L’art ne peut pas toujours changer le monde. Il ouvre les yeux douloureusement, parfois, pour le meilleur : la fraternité. Aujourd’hui, la haineexiste ; il y a cette volonté de diviser les gens, de les voir par catégorieethnique, religieuse. Non. L’art ne va pas tout “chambouler”, mais il permet de rassembler, de communiquer. »
Le cinéma de Ramzi Maqdisi est porteur d’espérance.
Ses documentaires font voir, font visiter, font entendre… Et ceux qui nous parlent,
dans ces œuvres, nous donnent des leçons utiles.
Celles de Defying my Disability viennent de loin jusqu’à nous, jusqu’à Eline : « Dans ce film, les personnages sont forts et ils nous prouvent que rien n’est impossible. Le personnage qui le dit le mieux, c’est cet adolescent qui roule à vélo à toute vitesse ; il n’a qu’un bras… Il n’a qu’une jambe… Il dit qu’il comprend le handicap et qu’il veut aider les gens comme lui. Il dit que le manque d’équilibre est dans l’esprit, non dans le corps ! ».
L’idéaliste filmé par Ramzi Maqdisi avait ceci en commun avec le cinéaste : la force du désespoir.
Sans doute est-ce bien elle qui poussa ce jour-là notre homme à faire une promesse à ceux qui avaient choisi de le faire parler sur le mur de séparation : « Le mur de séparation est amené à tomber, comme le mur de Berlin, hier. Un jour, il disparaîtra. »
« S’envolent les colombes
Se posent les colombes »,
Mahmoud Darwich, « S’envolent les
colombes »,
in La Terre nous est étroite
Anne Morange
Mai 2020