« La vie, il faut la regarder avec les deux yeux »…
C’est avec cette rêverie que notre invité nous a quittés, pour repartir en Dordogne.
Il était venu de loin, ce matin-là de janvier 2020, et le voyage, il l’avait fait pour mes beaux élèves.
Voilà des semaines que tous l’attendaient.
C’était sa promesse.
Les élèves de la Seconde Pietragalla sont de ceux qui lisent la poésie, celle de HK dont ils savent écouter la musique. Ils aiment cet artiste créatif porté à l’engagement, sincère.
Pour Kaddour Hadadi, il ne s’agit pas de concert, aujourd’hui… Il est venu seul.
Ce « Roubaisien de Bergerac » – ainsi aime-t-il se présenter – nous prévient : dans son prochain album, il y aura de l’occitan, du basque, du corse… Attendu en septembre 2020, l’album aura pour titre : Petite Terre.
Devant lui, les curieux se lancent : « Pourquoi mélangez-vous les langues dans vos chansons : l’anglais, l’arabe, l’espagnol ? Cela signifie-t-il quelque chose, ou c’est pour le plaisir ? »
Notre artiste dit aimer les mélanges. Il a l’amour des pluriels…
Et celui de la musique, celle qui lui donne « la curiosité de l’autre ».
« Que pensez-vous de la situation des migrants ? », lance un élève.
Notre homme n’a qu’un seul discours pour ces malheureux qu’il faut aimer, secourir, accueillir. Comprendre. « Les migrants ? Cela peut être nous… C’est l’Humanité. On a l’Humanité en nous. »
Et de revenir sur ces deux figures qui l’ont marqué : Coluche, l’abbé Pierre.
Tout est dit.
On connaît son âme : il l’a belle.
On connaît son cœur : il l’a large.
On connaît, donc, son idéal.
Tout était déjà dans les chansons… Et les élèves le savaient.
Nous l’écoutons, deux heures durant, expliquer combien il aime « l’idée des racines ».
Les lieux comptent pour HK.
Sans doute, sa naissance à Roubaix, la ville cosmopolite par excellence, y est pour beaucoup.
Il est des villes que l’on ne quitte jamais tout à fait : « Il faut avoir conscience du lieu d’où nous venons. », recommande-t-il à la classe.
La ville de la fraternité était et demeure, d’ailleurs, celle de la famille. L’on apprend ainsi que sa grande sœur, son frère, ses parents sont, tous, musiciens chanteurs. L’artiste se raconte, non sans retrouver les lieux de l’enfance qui chantent toujours dans sa mémoire : « A la maison, c’était la grande chanson française ! » glisse-t-il aux élèves curieux…
Le respect est immense ; et les jeunes écoutent avec reconnaissance cet artiste parler de son métier. Leurs questions sont précises : « Comment s’est déroulée votre collaboration avec Souad Massi ? », « Quand vous chantez avec un autre artiste, est-ce que vous choisissez seul la musique ? »
Kaddour Hadadi a, face à lui, des spécialistes.
Certains de ses titres sont particulièrement appréciés. Ils font penser… Ils ouvrent les yeux : « Pourquoi avez-vous écrit “L’homme est loup ?” », lui demande-t-on. L’homme ne réfléchit pas bien longtemps : « C’est difficile à dire… C’est difficile d’être humain… L’homme est capable du meilleur comme du pire. Oui, l’homme est loup… Plus exactement, je dirais que l’homme est un homme pour l’autre. »
Certaines chansons ont vraiment marqué nos jeunes esprits qui se livrent, avec toutes leurs inquiétudes, devant les camarades : « Pensez-vous que les hommes sont pires qu’autrefois ? »
Chacun reçoit le message, et l’image choisie par HK est éloquente : « La vie est une montagne russe ; on s’élève, un jour, avec plein d’idées dans la tête… Et parfois, on a envie de se recoucher. »
Alors ? Où trouver le courage et la force de tenir, tenir ferme, tenir debout ? « Le monde ne vous désespère-t-il pas, des fois ? », relance un autre élève.
Kaddour rassemble ; sa parole est consolatrice ; elle apaise.
De sa ville natale, Roubaix, il a gardé un souvenir de lumière. Il en parle mieux que personne : « Il y a des personnes extraordinaires. Non… Roubaix n’est pas que précarité, violence… ».
Il se souvient, alors, de ses jeunes années, au lycée. Deux choses importantes réjouissaient son existence : le ballon, la guitare. Et les copains ! Cela fait donc trois…
Il raconte les copains, ses copains : ceux qui se retrouvaient, dès que possible, au pied du bâtiment E, serrés autour du dictaphone : « Pendant les cours de français, j’étais sur le terrain de basket, avec les copains… on chantait entre deux cours. »
Et son regard se tourne vers les espaces du lycée que les grandes baies vitrées laissent apercevoir. Le beau temps est avec nous. Et nous sommes dans ses souvenirs de lycée.
HK a, déjà, une longue carrière derrière lui et, d’hier à aujourd’hui, on le voit avec les différents groupes, les nombreux albums et concerts : « Les copains sont toujours là pour faire de la musique. »
Cette pensée le ravit.
Il nous dit vivre de sa passion.
Et c’est de cette passion qu’il veut nous parler, aujourd’hui…
Fidèle à lui-même, il choisit les mots de la poésie pour s’adresser aux 31 élèves qui retrouvent, dans l’homme, leur poète : « Plus les mots sont beaux, plus ils sont nos alliés. »
L’écriture de Kaddour Hadadi est d’une très grande beauté.
D’ailleurs, les mots, c’est pour lui toute une expérience vécue et toute une expérience esthétique : face à nous, l’artiste se laisse aller à ce plaisir de dire au plus juste.
Il y a un verbe qu’il aime car on le choisit, dit-il, « pour parler ballon ou concert. C’est le verbe jouer. J’aime ce verbe. ».
Kaddour Hadadi est un artiste qui apaise ; il porte une parole de consolation et d’espérance.
« Pourquoi les valeurs comme l’amour, la fraternité, la solidarité vous intéressent-elles autant ? », demande la classe.
La réponse est immédiate : « Quand on a grandi à Roubaix, on voit des choses qui touchent, qui affectent, qui marquent. ».
« Vous arrive-t-il de vous décourager ? », lui demande-t-on alors.
« Il faut redouter les regrets », recommande HK, qui sut trouver comment échapper au découragement : « La passion et l’amour des mots, l’écriture… pour parler, pour chanter… ».
C’est bien dans l’écriture que l’on trouve le salut, le dépassement et les jeunes suivent son raisonnement : « Quand on part du bas de l’échelle sociale, les mots sont notre avenir. »
Kaddour Hadadi ouvre les horizons, rapproche les belles histoires. Avec lui, elles peuvent devenir réalité. Il le répète à ces jeunes filles et jeunes gens qui veulent mieux le connaître encore : « Que diriez-vous sur votre enfance ? », « Qu’y a-t-il de différent si on compare votre jeunesse et la nôtre ? »… Telles sont les questions qui amènent Kaddour à méditer sur le passé : « Nous avons tous une histoire à raconter… »
La réussite de HK s’est sans doute préparée, ici, dans notre lycée où il décrocha, autrefois, un bac scientifique avant ses études de mathématiques.
Mes élèves l’admirent pour cela, aussi.
HK leur parle d’eux. Il leur parle d’eux pour demain.
Sur leur lycée, qui fut le sien autrefois, Kaddour Hadadi confie, avec une émotion non feinte : « Même si je reviens chaque année, c’est un peu toujours mon pèlerinage. »
HK nous a interprété trois chansons ; et les élèves ont voulu chanter avec lui…
En cet instant précis, ce n’était plus l’école.
Certains parlent pour cela de communion.
Dans les applaudissements, une petit voix : « Madame, on peut le refaire ? »
« Non… Rodrigo… Il reviendra. »
Les mots de Hugo, jeune danseur au Ballet du Nord, disent vrai : « Incroyable rencontre, incroyable chanteur ! »
Ce sont des mots d’artiste…
Anne Morange