Pour la première fois de ma vie, je suis entré dans le cycle du visage.
Je suis arrivé de profil dans le cycle de ton visage/…/
James Noël, « Le cycle du visage », Kana sutra
« Tu es venue au monde d’un bon pied, il suffit de suivre ton cœur pour boussole et les livres pour satellites afin d’inventer toi-même ton cosmos, sans jamais perdre le goût de l’autre. Et la voix qui parle en toi, laisse-la parler, laisse-la parler plus que de raison, jusqu’à ce qu’elle se casse et fasse écho dehors. »
Nous recevions, ce jour-là, James Noël qui avait écrit ces mots pour sa fille Léna, en 2012, dans sa revue IntranQu’îllités. Il avait ému tous les fils, toutes les filles de Premières G1et G3. Tous voulaient connaître le poète qui était ce père-là…
C’était promis.
Il était venu à eux et laisserait toute la place aux voix et aux cœurs de ces jeunes élèves qui l’avaient lu pour leur examen de Français en juin 2020.
Ce qu’il y a de bien avec les poètes vivants, c’est qu’il est possible d’assister à leur œuvre en devenir…
Et mes élèves de Première en avaient des questions à poser sur la poésie à leur invité qui, en 2015, avait fait paraître son Anthologie de la poésie haïtienne contemporaine.
Ces élèves avaient réalisé pour lui, en décembre, une anthologie de poèmes choisis de James Noël ; ils avaient lu certains de ses recueils poétiques : Des poings chauffés à blanc (2010), Kana sutra (2011), Le Pyromane adolescent (2015), La Migration des murs (2012), Cheval de feu (2015)…
Et leur auteur avait accepté de préfacer cette anthologie faite maison, avant de nous rencontrer : « pour une fraternité ouvertement déclarée » (« Dernière phase », Des Poings chauffés à blanc).
Douceur, fraternité, amour, partage, humanisme…
James Noël nous rassure ; le poète éclaire notre chemin :
portés par les mots
loin nous partirons
nous prendrons la mer
(« Évasion », Des Poings chauffés à blanc)
Sa poésie nous console, aussi :
Y a-t-il un pont
Pour passer l’attente
(« Pour passer l’attente », Le Sang visible du vitrier)
Il est de ceux qui rassemblent, appelant tous les courages à « déverrouiller les cœurs » (« Mot d’ordre », Le Sang visible du vitrier).
Les jeunes reparleront longtemps des moments passés avec cet artiste : « James est plein de vie » s’exclame Ludivine ; « Envoûtant », ajoute Salma ; « C’est un homme au sourire constant », renchérit Théo. « James Noël, c’est le Victor Hugo d’aujourd’hui ! » : un cri du cœur de Soukaina qui fera, j’en suis sûre, sourire notre artiste…
Oui, James Noël a laissé un souvenir fort à ces élèves, amateurs de poésie… Le souvenir d’un être « joyeux, souriant », pour Shahinèze qui parle pour notre rencontre si heureuse : « Il a pris vraiment du plaisir à répondre à nos questions. »
Cela était prévisible avec ce poète qui, autrefois, put déclarer : « Je me nourris de la parole, de textes et de ce que je vois, de ce que j’entends, de tout ce qui me traverse aussi comme émotions, tel le pouls du temps. »
« Que vous apporte l’écriture ? », « Qu’est-ce que la poésie ? », « Trouvez-vous facilement l’inspiration ? », « Avez-vous déjà pensé à la chanson ? », « Comment choisissez-vous vos titres ? »… Les curiosités se sont beaucoup exprimées durant cette matinée littéraire de janvier… Et notre poète s’est lancé… Iliana, sensible à l’humour de James, avait sur sa page de cours écrit ces lignes : « James Noël nous a dit qu’il n’aime pas écrire comme un bavard dirait qu’il ne peut pas s’empêcher de parler. » La comparaison est du poète lui‑même.
Écrire, pour James Noël, le poète haïtien, au « cœur circonflexe » (« Accents graves », Le Sang visible du vitrier), c’est « un apaisement, une vraie thérapie. »
Il s’explique à nous, ce jour-là, éloquent : « Quand j’écris, je ne me sens jamais seul ; j’ai Arthur Rimbaud, Victor Hugo à mes côtés, et je m’en inspire. »
« Cette rencontre nous a permis de nous élever », confiera Anja qui n’aura rien oublié de ces moments de grâce…
Ce matin-là, dans la lumière du 7 février que les baies vitrées de l’Aquarium laissent passer, mes élèves le regardent, l’écoutent.
Le respect est grand.
Fatoumata ne se trompe pas : « James Noël est un poète plein de surprises. Étonnant. »
Notre homme est, cela est étonnant, comme sorti de son recueil Le Pyromane adolescent : il colle à sa poésie !
il aimait les mots
en bon vivant
qui rêvait à ciel ouvert
(« La lettre Z pour finir »)
On en voit certains prendre des pages de notes… D’autres ne le lâchent pas des yeux. Boubaeker se souvient, en souriant :
« On a l’impression qu’il n’est pas seul, qu’il a toujours quelque chose à dire. Ce poète est léger. Quand on lit ses poèmes, on pourrait penser qu’il est bizarre, illuminé. Quand on le voit, on comprend qu’il est normal. Il a juste étendu son regard, sa vision des choses. Il voit beaucoup plus loin que nous. »
Ses poèmes ne sont pas toujours faciles à comprendre, et pour ceux qui le lui faisaient remarquer en confiance, une réponse sans concession : « La poésie n’est pas censée être facile à comprendre ; c’est plutôt une découverte. Cela permet de chercher… »
Il y eut le sourire du poète à ce moment-là, un sourire destiné à ceux qui le cherchent encore…
Il aurait pu leur réciter ces vers qu’il avait composés pour son livre Kana sutra :
Les mots s’accouplent
pour donner une phrase nouvelle
aux différents cycles des planètes
les signes se décuplent
pour recycler les étoiles éteintes
en lumineuses idées
« C’est un poète, nous dit Salma, qui est sensible à l’actualité, et qui sait la dénoncer. Pour lui, un poète qui ne dénonce pas ce qui le touche est voué au silence. »
Notre invité nous dit supporter le monde grâce aux mots : « James Noël, nous rappelle Hajer, est une personne qui est, comme les autres, victime du monde ; lui, il trouve refuge dans la poésie. »
Et ses vers demandent des comptes aux bourreaux de tous les temps, de tous les pays, et ils se font rage :
le monde est-il possible
avec autant d’échecs
de ruines en bloc
qui prennent pour enseigne
la face humaine
(« La face humaine », Des poings chauffés à blanc)
Ses poèmes, nous dit-il, ce sont de « vraies lunettes pour voir le monde qui m’entoure. »
Son roman Belle Merveille, sorti en 2017, nous donne d’ailleurs la preuve que ces « lunettes », pour nous dire la vérité du monde, ne le quittent jamais ; en lui, le romancier a rejoint, en 2009, le poète qui avait écrit dans Le Sang visible du vitrier :
Je te promets une parole de vitrier
Vérité qui éclate
Par-delà les vitres
Antonio demeure séduit par les mots du poète-vitrier : « La poésie, c’est surtout un moment. Chaque instant compte. Et le poème, c’est le souvenir, le corps de cet instant. »
Hajer est tout aussi enthousiaste ; elle se souvient d’une très grande générosité : « C’est un homme plein de vie, plein d’idées, un homme gentil, et qui nous a expliqué son parcours avec une telle fierté… »
L’homme qui arpente le monde par delà les frontières et les aéroports était là, devant nous, à Roubaix : « pour la rencontre et le partage. »
« James Noël, c’est un exemple à suivre pour son courage » : nous n’oublierons pas, Axelle, cette chance…
L’humanisme de l’écrivain, son art poétique aussi, voilà ce qui réveille chacun.
C’est que, pour notre artiste, l’écriture sauve. « D’après James Noël, précise Soukaina, la poésie n’est pas seulement une écriture sur une page blanche. Elle permet de vivre. »
Chez James, l’image emporte ; le style place haut l’avertissement : « Ce qui sort de la page blanche peut réveiller la planète. Une poésie qui ne réveille pas l’humain n’a pas d’intérêt. La poésie tire le signal d’alarme ; elle est la dernière chance pour l’homme et le monde. »
En 2010, le poète avait déclaré : « L’écriture est une forme de séisme qui doit provoquer des tremblements chez l’autre. Une poésie peut bombarder une ville entière. C’est vraiment une arme miraculeuse. »
Ce jour-là, la poésie se fit homme.
« C’est toujours derrière moi qu’arrive le soleil », écrivit James Noël…
Anne Morange
Mai 2020