Le 16 mars 2017, le célèbre footballeur était de retour dans notre lycée.
De nombreux élèves de Première Littéraire et de Seconde de Van der Meersch recevaient, pour ce jour d’exception, leurs camarades du lycée Rostand ; tous avaient préparé une entrevue qui, à ce jour, est encore dans notre mémoire… et dans notre cœur.
Ma collègue de Français Madame Boulhais se joignait donc à moi, avec ses élèves, pour recevoir le champion du monde Lilian Thuram, et Monsieur Fesneau, notre Inspecteur de Lettres, nous faisait l’honneur d’accueillir notre invité, au milieu de tous nos élèves.
Si l’homme regarde encore les matchs de football, il a choisi d’autres défis, d’autres ambitions avec sa fondation Éducation contre le racisme.
« Pourquoi avez-vous créée votre fondation ? » est une question qui revient dans la bouche des adolescents, surpris qu’un tel athlète ait décidé un jour de quitter le terrain. Eux, ne rêvent que de foot… ne vivent que pour leur entraînement… ne pensent qu’à leur match de dimanche prochain.
Thuram répond qu’il va dans les écoles et les lycées à la rencontre des jeunes pour parler racisme. Pour lutter contre toutes les formes de racisme, de haine, de discrimination… En écoutant, en questionnant, en guidant, il montre à beaucoup une autre voie : celle de la fraternité.
« On se construit dans le regard de l’autre. Et ce regard est souvent celui qui ne voit que notre couleur de peau. »
C’est le fléau de la discrimination qui brise l’harmonie de la société, de notre monde, analyse-t-il.
« On ne grandit bien que si l’on trouve dans le regard de l’autre de la bienveillance, de l’amour… », poursuit-il.
« Avez-vous été victime de racisme, quand vous étiez petit ? Quand vous étiez champion ? » lui demande-t-on, alors.
La conscience du racisme date, pour notre invité, de ses neuf ans, quand, arrivé en métropole, il découvre dans les yeux de ses nouveaux camarades d’école qu’il est noir… Quand il entend qu’on le surnomme : « la noiraude ». Thuram ne raconte pas de souvenirs d’enfance pour faire pleurer…
Non.
Il raconte pour amener l’autre à se souvenir, lui aussi, de son passé et des regards… Des siens. De ceux des autres.
L’homme dit avoir été élevé par une femme forte : « Ma maman m’a appris le courage », confie-t-il. Et de revenir sur le caractère essentiel de l’éducation : « On ne se fait pas tout seul. On a besoin d’aide. C’est pour cela que l’école, l’éducation sont si importantes. On a besoin des autres pour se faire. »
Dans le champion de football, dans la star internationale, dans l’homme qui nous parle de sa fondation et de ses engagements, il y a le père, aussi, qui s’exprime.
Thuram est un père très aimant. Sans doute cet amour des enfants lui a-il-fait reprendre le flambeau de ce combat humaniste pour la fraternité, l’égalité, la tolérance…
L’homme est fort : il tient bon dans ce combat pour l’égalité, la fraternité, le respect des autres.
« Vous avez deux fils. Parlez-vous avec eux de racisme ? »
Notre invité nous explique qu’il parle depuis toujours de cela, avec ses fils, pour qu’ils puissent rejeter le racisme.
« Nous, les adultes, nous fabriquons les catégories. Ce sont les adultes qui mettent des cadres, des catégories. »
Et petits et grands, nous apportons, tous, nos préjugés… Il faut les questionner, nous dit-il, pour les dépasser.
Les élèves écoutent cette leçon, avec le souci de saisir chaque mot au plus juste.
Thuram guide. Les adolescents le suivent.
Et, prolixe, il sait raconter ces rencontres dans les écoles ; il nous parle de ces enfants qui ne savent plus qui ils sont ; de ceux qui ne se sentent pas d’ici ; de ceux qui se disent d’un autre pays, quand ils sont français…
Lilian Thuram parle pour rassembler.
« Nous vivons dans une société où l’on ne voit que l’origine, la couleur, ce n’est pas anodin… On ne doit plus s’arrêter à la couleur, à l’origine, à la sexualité, à la religion de quelqu’un… Il va falloir travailler pour que cela change. On va y arriver ! »
Sans doute la victoire résidera-t-elle dans cet effort, dans ce devoir : changer nos habitudes, pour mieux approcher l’autre, l’accepter… L’aimer.
« Oui, il faut ouvrir le champ pour les autres. Nous sommes tous humains. »
« Vous y croyez encore, après toutes ces années ? Il n’y a pas des jours où vous avez envie d’arrêter votre fondation ? »
L’homme, qui se dit aujourd’hui « vacciné contre le racisme » est optimiste : il nous apprend que son grand-père est mort 60 ans après l’abolition de l’esclavage… Beaucoup a été fait, assure-t-il.
Il ne faut pas perdre courage.
Thuram croit aussi aux enfants, et il les invite à participer au changement ; il leur demande de prendre leur part dans cette lutte à poursuivre, ensemble.
Il faut analyser ce qui se fait par habitude, et parfois par haine… Il faut identifier nos préjugés, comprendre le passé, tenter de dépasser les freins, les rejets, les haines.
Notre homme se fait pédagogue. Il est patient :
« Devenir blanc, noir ou jaune dans le regard d’autrui… après tout ce n’est pas grave. Devenir, à cause de cela, inférieur, voilà ce qui est beaucoup plus grave. »
« Avez-vous eu, avec votre couleur de peau, des fois l’idée que vous n’étiez pas vraiment français ? »
« Je n’ai pas eu le temps de développer ce sentiment. Moi, j’ai eu beaucoup de chance de jouer au foot, de jouer dans l’équipe de France… J’étais français, puisque je jouais dans l’équipe de France… On ne mesure pas assez la symbolique de l’équipe de France. »
Beaucoup, ce jour-là, le regardent, l‘écoutent dans la salle de la Rotonde… Ils se mettent à y croire, ou à y croire plus fort.
Lilian Thuram aime répéter que les enfants n’ont pas toujours de référents capables de leur dire : « Toi aussi, tu as droit ; toi aussi, tu es capable de tout ; toi aussi, tu mérites… »
La notoriété permet de se faire écouter facilement, et sur ce point, les adolescents ne demandaient qu’à croire celui qui savait si bien parler de sa foi en la jeunesse.
En ce jour de mars 2017, Lilian Thuram avait accepté d’être le parrain de notre collecte au lycée pour les migrants du village de Norrent-Fontes.
Le champion du monde avait, en décembre 2016, joué dans un match de foot avec d’anciens migrants de Calais à Croisilles…
Nos jeunes avaient, avec lui, compris qu’il fallait tendre la main aux malheureux, quand les portes du monde se referment sur leur errance…
« Il faut regarder dans le bon sens ; ne pas s’enfermer dans un cadre ; ne pas enfermer les autres, non plus. Pour bien avancer dans la vie, il faut de l’amour : pour grandir sereinement. »
Aujourd’hui, plus que jamais, sa voix nous porte et nous rassemble…
Anne Morange